Jean Dewasne choisit l’abstraction comme langage.
Il est le premier lauréat du Prix Kandinsky avec Jean Deyrolle en 1946, année de la création du salon
des Réalités Nouvelles, vitrine de l’art concret et de l’abstraction géométrique dont il revendique
l’héritage à la suite de Herbin qui le fait entrer au comité. Lors de ces années pionnières, il
participe aux expositions de groupe autour des tendances de l’art abstrait à la galerie Denise René,
dont il devient un des artistes « phares ». Au début des années cinquante il contribue à l’essor
de l’abstraction en Scandinavie et en Belgique et bénéficie d’une forte audience au Danemark en
analysant les problèmes de l’art abstrait dont il affirme sans ambiguïté qu’il s’agit d’« une éthique,
un mode de vie qui s’adapte ». En 1949 avec son «Traité de la peinture plane» (publié en 1972) il pose
les assises de l’art d’avant-garde dont son Atelier d’art abstrait fondé en 1950 avec Edgard Pillet,
lieu d’enseignement et de réflexion sur l’art abstrait ne désemplit pas et devient le laboratoire
qui suscite de vives réactions notamment le pamphlet de Charles Estienne « L’art abstrait est-il
un académisme ? » auquel Léon Degand répond par un autre texte «L’épouvantail de l’académisme
abstrait». Le décor est planté.
C’est dans ce climat contradictoire que Jean Dewasne réalise ses premières peintures avec lesquelles
il revendique le rôle de la couleur comme élément unificateur de ses recherches plastiques.
«La Joie de vivre» (1949) contient en substance ses théories sur le plan et la forme mais aussi les
illusions d’optique contenues dans le chromatisme : lorsqu’un bleu et un rouge se touchent, la
ligne colorée à leur intersection provoque une vibration. Une puissance chromatique qui atteint
son maximum d’intensité en recourant à des couleurs pures, la laque glycérophtalique posée en
aplats au pistolet, clairement délimitée, sans effet de matière, sur un support inaltérable qui le fait
renoncer à la toile au profit de l’isorel. Il expérimente ces nouveaux matériaux avec «l’Apothéose
de Marat» (1951) immense peinture de 6m de long sur 2m5, une oeuvre charnière qui préfigure «Le
Tombeau d’Anton Webern» (1951) à partir duquel il expérimente l’espace non-euclidien par le volume.
Une réponse qu’il transposera dans sa peinture.
Son intérêt pour l’industrie l’oriente vers des supports inattendus : des carrosseries de voitures,
des carénages de motos dont il peint le volume comme un tableau qui aurait des bosses et des creux.
« J’ai trouvé un arrière de voiture de course d’avant-guerre dont la forme m’a intéressé. J’en ai scié
la base, je l’ai mise debout et je me suis aperçu que je pouvais peindre l’intérieur et l’extérieur. Ce
n’est pas une sculpture : c’est une peinture qui au lieu d’être sur un plan, est une surface creusée
ou bombée ». Il est alors un des rares artistes à collaborer avec la Régie Renault et réalise en
1974 une commande murale monumentale pour la salle des ordinateurs au siège de Saint-Quentin-en-
Yvelines.
C’est à partir de ses Antisculptures que Jean Dewasne développe un vocabulaire formel spécifique
(droites, courbes développées sur la surface) et inverse les trois couleurs fondamentales qui sont
pour lui, le rouge, le vert et le bleu, le jaune transparaissant par oscillation. Une dialectique
que l’on retrouve dans ses gouaches et ses sérigraphies. Ses conquêtes plastiques révèlent des
émotions inconnues par l’enrichissement de la colorimétrie, la chimie des couleurs, la physiologie,
la théorie sur la vision, issues de ses découvertes personnelles à partir d’ouvrages d’ingénieurs
de chez Philips et de son exploration des matières plastiques liquides auxquelles il a consacré une
partie de ses cours du mercredi sur la « Technologie de la peinture » à l’Atelier d’art abstrait qui
fermera en 1952.
L’engagement politique de Jean Dewasne pour un art constructif en action directe sur la vie sociale
le fait intervenir dans l’architecture publique. Celui qui a étudié l’architecture et la musique (il
est familier du Domaine Musical et se passionne pour le dodécaphonisme et l’atonalisme) concrétise
une synthèse des arts dans l’urbanisme. On lui doit des réalisations monumentales prestigieuses
comme la patinoire et le stade pour les Jeux Olympiques de Grenoble de 1968, «La Longue Marche»
(1968) présentée en 1969 à l’ARC du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, est installée à la
faculté des Lettres de Lille.
Son activisme dans la vie de la cité culmine avec des oeuvres monumentales identitaires de son langage.
«L’Habitacle rouge» (1972), structure pénétrable, volume en tube d’aluminium, réceptacle d’une
fresque circulaire et de deux Antisculptures symétriques. «Jet-Underground» deux oeuvres de 110
mètres de long pour le métro de Hanovre (1975) et la Grande Arche de la Défense en collaboration
avec l’architecte Otto von Sprekelsen (1985-1989), représentant 15 280 m2 de peinture émail cuit à
120° sur plaque d’acier.
Avec une oeuvre toujours d’avant-garde, Jean Dewasne a « baroquisé la peinture géométrique trop
froide » pour citer Daniel Cordier qui l’expose à Paris, puis à New York en 1962. En 1968, il représente
la France à la Biennale de Venise.
Sa donation au Centre Pompidou fait entrer dans les collections nationales plusieurs de ses oeuvres
capitales. En 2012 son épouse Mythia Dewasne a fait une généreuse donation à l’Etat par le biais des
services des Musées de France (musées de Strasbourg, Matisse Cateau-Cambrésis, LAAC Dunkerque,
Cambrai).
Ses oeuvres sont des archétypes de la vie industrielle, devenus l’expression artistique de ses forces
vives.
Lydia Harambourg
Membre correspondant de l’Académie des Beaux-Arts
©Galerie Laurentin, Paris, Bruxelles