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 ENTRETIEN avec Ode Bertrand 

Antoine Laurentin : Tout d’abord merci Madame de répondre à mes questions concernant l’oeuvre d’Aurelie

Nemours à l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée par la galerie dans le cadre de la TEFAF plus

communément connue sous le nom de Maastricht fine art fair.

Antoine Laurentin : Je voulais vous demander quelle est l’origine de votre collaboration avec Aurelie

Nemours, votre tante ?

Ode Bertrand : C’est bien simple. J’étais danseuse classique puis je me suis arrêtée, car je voulais des enfants.

Dans une réunion de famille, j’ai dit à Aurelie que j’étais totalement exclue de l’art, et que pour moi

la danse c’était désormais trop tard. Alors elle m’a dit : « viens à l’atelier et puis nous allons voir si cela te

plaît, nous verrons ce qu’on peut faire ». Je suis allée à l’atelier et j’ai commencé des études.

AL : Des études de peinture ?

OB : Oui bien sûr. Aurelie m’a dit qu’elle aimerait une structure d’enseignement. Je me suis donc inscrite

à l’ABC de l’art par correspondance j’avais des devoirs à faire et elle me les corrigeait. Cela se passait très

naturellement. Au bout de trois ans j’ai commencé à l’aider un peu. Son enseignement m’a été donné tout

à fait comme les peintres du Moyen-âge. J’étais l’apprentie, j’apprenais tout dans son atelier.

AL : Mais en même temps vous travailliez pour elle, vous l’aidiez dans l’élaboration de ses propres

oeuvres?

OB : Oui j’ai commencé à être son aide. Justement je voulais vous parler de cette fonction si particulière.

Tout le monde ne peut pas être un aide. Il faut un caractère un peu spécial surtout avec Aurelie Nemours

qui était difficile, elle était très autoritaire. Moi j’étais très souple et je le suis restée d’ailleurs. Donc nous

avons fait une très bonne équipe. Je recevais tout ce qu’elle me disait comme parole d’évangile, Aurelie

Nemours pour moi c’était Dieu sur la terre. Et justement, pour être aide, il faut aimer l’oeuvre du maître,

sans cela c’est un vrai calvaire, il faut vraiment y croire. Aurelie disait que l’aide doit avoir trois qualités :

il doit être intelligent, fidèle et non jaloux. L’intelligence, c’est faire corps avec le maître, évidemment, la

fidélité est un élément indispensable pour ne pas mettre le maître dans l’embarras, et non jaloux bien sûr et

cela n’est pas donné à tout le monde.

J’ai commencé à la seconder un peu au quotidien. D’abord toutes les courses, laver le matériel de peinture,

elle me considérait comme sa fille. Je la conduisais, je l’emmenais partout, notamment aux vernissages, je

portais les tableaux, et faisais le réassortiment des couleurs, bref toutes les tâches ennuyeuses pour elle et

qui lui ont permis d’avoir la liberté de sa création. Je faisais aussi un tas de petites choses pour sa peinture,

le premier état, la mise en place à la mine de plomb, en fait toute l’oeuvre sous-jacente.

AL : Vous avez une mémoire formidable de l’oeuvre, pouvez-vous nous parler un peu de la conception de

son travail ?

OB : C’était quelqu’un d’absolument libre, influencé par rien ni personne. Elle suivait son propre cheminement.

Dans la période qui a suivi ses études dans les ateliers, elle est rentrée chez elle, puis a cherché

vraiment ce qu’elle voulait dire et c’est ainsi que sont nées les « Demeures». C’était un travail au pastel

sur papier, plutôt des grands formats. Elle cherchait ses formes, un équilibre : plus petit, plus grand qu’elle

effaçait le lendemain mais qui lui donnait des beaux soubassements de gris.

AL : Une structure, des couleurs...

OB : Oui au début tout était en noir et blanc. C’était une recherche de formes et de valeurs.

AL : Formes et valeurs ?

OB : Oui, formes, valeurs et rythmes qui ont été toute la période des « Demeures ». Alors pourquoi les

demeures ? À ce moment là, Aurelie Nemours lisait la vie de sainte Thérèse d’Avila, qu’elle m’a prêtée

et que j’ai lu comme un roman. Il y a des demeures dans la vie de sainte Thérèse d’Avila, à chaque fois

qu’elle fait un progrès, c’est une demeure.

AL : Comme les stations du Christ ?

OB : Oui et elle a appelé cette période les demeures.

AL : Aurelie Nemours avait-elle un sentiment religieux?

OB : Oui, tout en ne pratiquant pas du tout. Mais, elle croyait très fort en l’«Esprit».

AL : Après les demeures, Aurelie Nemours a poursuivi ses « Recherches », qui ont donné naissance à

différentes familles. Comment y arrivait-elle?

OB : D’abord sur des petits cartons, vous avez dû voir ces petits cartons de radiologie (son mari étant radiologue),

elle s’en servait pour ses « Recherches ». Elle ne partait de rien, seulement de son intuition, elle

cherchait avec ses petits pastels de couleur, exactement comme dans les demeures, la forme, le rythme et

la valeur. Dans la couleur, c’étaient les passages de couleurs qui la fascinaient. L’énergie que dégage une

couleur à côté d’une autre.

AL : Donc quand elle faisait ses grandes bandes où il y avait cinq ou six études (Recherches), comment

faisait-elle son choix?

OB : Elle commençait par une petite étude et puis elle en refaisait une autre à côté: et elle en faisait une

autre, puis une autre, et pour finir toute la bande. Alors elle découpait, celles qu’elle trouvait abouties, qui

pouvaient faire une petite oeuvre à montrer, et qui fréquemment donnaient suite à un tableau.

AL : Concernant ce que vous me disiez tout à l’heure, elle ne subissait aucune influence particulière, bien

qu’elle ait eu semble-t-il beaucoup de relations avec le monde littéraire (Michel Seuphor) ?

OB: Oui mais cela n’avait pas de conséquence.

Vraiment Aurelie, était dans son travail, son intuition, influencée par rien, ni personne. Ni d’ailleurs par le

monde artistique qu’elle ne fréquentait pas.

AL : Quelqu’un de très solitaire?

OB : Très solitaire, très intériorisé...

AL : C’est ce qui amène souvent cette idée d’oeuvre méditative.

OB : Tout à fait, Aurelie Nemours avait besoin de faire le vide avant de commencer à travailler. Plus rien

ne comptait, ni le téléphone, ni rien. Elle était complètement en accord avec l’inspiration. Elle disait toujours

: « que l’artiste n’était qu’un intermédiaire, tout venait d’un ailleurs... »

AL : Que pensez-vous de la perception du public, ou tout au moins des amateurs face à l’oeuvre d’Aurelie

Nemours ? Elle a eu une existence relativement retirée. Et son oeuvre a toujours surpris. Maintenant pensez-

vous que cette vision ait changé ? Est-ce que l’oeuvre est devenu plus universel ?

OB : En effet Aurelie ne faisait absolument rien pour que son oeuvre soit connu dans le monde car cela

l’ennuyait horriblement. Cela a été assez long pour que les galeries s’y intéressent, elle a été un peu connue

au début grâce aux salons, c’est ainsi que cela a démarré. Mais son oeuvre est relativement difficile à appréhender.

Il est vrai qu’Aurelie n’est pas très connue du grand public bien qu’ayant très fréquemment exposé

en France et dans toute l’Europe, grâce aux collectionneurs son oeuvre est diffusé dans le monde entier. Sa

rétrospective au centre Georges Pompidou a été très bien reçue, il y a eu un monde fou grâce au bouche à

oreille.

AL : Elle a connu la notoriété à la fin de sa vie, notamment grâce au travail de Serge Lemoine qui a souvent

mis en avant son oeuvre si avant-gardiste et personnel. C’est lui qui a mis en avant ses fameuses «

Recherches ».

OB : Oui parce que les « Recherches » étaient l’instant originel de son travail. C’était là qu’elle avait l’intuition

de ce qu’allait être le tableau.

AL : Donc vous me dites très gentiment que je montre l’origine, la genèse de tout son oeuvre.

OB : Absolument c’est la genèse, l’origine de tout son oeuvre

©Galerie Laurentin, Paris, Bruxelles

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